Colloque Alliance H@rvest 2024 – Table ronde « Données issues de capteurs versus connaissances traditionnelles ? »

Actualité | Colloque 2024, Synthèses

Avec Véronique Bellon-Maurel, Baptiste Fainéant, Jean-Marc Philip et Vincent Rachet

Jean-Marc PHILIP, Directeur commercial et Innovation à la Société du Canal de Provence et Vice-Président du Pôle de compétitivité Aqua Valley

Frédéric Denhez : « Jean-Marc Philip, vous indiquez que vous embauchez des pédologues à la SCP, un métier dont la formation a quasiment disparue, vous avez donc besoin de ces compétences métiers et de personnes de terrain, pourquoi ? »

Jean-Marc Philip : « Oui, je répondais cela à la question est-ce que les capteurs suffisent aujourd’hui pour gérer un système d’irrigation ? La réponse est non, nous avons toujours besoin d’agronomes, à partir du moment où on s’intéresse à l’eau et au sol, on a également besoin de pédologues. Nous avons besoin de ces compétences métiers pour deux missions : celle d’aménageur du territoire ce qui consiste à connaître le potentiel des sols, et deuxièmement, la mission de gestionnaire d’eau qui implique de connaître les besoins en eau des parcelles. Pour ces deux raisons-là les pédologues sont stratégiques et encore plus en région méditerranéenne. En effet, cette région doit composer avec une ressource en eau de plus en plus rare, l’irrigation est d’une importance capitale pour lisser les rendements et garantir des productions. Donc on se pose deux questions : quelles seront les ressources en eau demain ? Quelles sont les besoins des plantes en eau et quels seront-ils dans un climat changé ?

Notre mission consiste à accompagner les agriculteurs et les groupements d’agriculteurs à décider de la dose d’eau pour répondre à leurs besoins, aux vues de leurs objectifs quantitatifs de rendement et qualitatifs. Donc pour répondre à quelle agriculture pour demain ? Pour moi c’est une agriculture en Méditerranée qui s’adapte au changement climatique qui arrive à une allure folle sur notre territoire. L’irrigation c’est un peu une assurance vie qui permet de lisser les rendements et garantir la production. Mais il faut une révolution agroécologique. »

Baptiste FAINEANT, Chargé de projets Innovation & Filières à Sofiprotéol

Frédéric Denhez : « Baptiste Fainéant, les connaissances traditionnelles, vous les agrégez comment, elles représentent quoi à Sofiprotéol ? »

Baptiste Fainéant : « Sofiproteol c’est une société de financement qui finance les investissements de la filière des oléoprotéagineux sur l’ensemble de la chaîne de valeur depuis la production jusqu’aux différents débouchés de la filière. Une de nos missions consiste à financer des actions d’innovation sur l’ensemble de la filière. Les connaissances traditionnelles se situent donc beaucoup au niveau de la R&D. Comment on l’agrège ? Aujourd’hui on a un écosystème assez particulier puisqu’on travaille avec l’interprofession Terres Univia, qui défend les intérêts de la filière au niveau national et européen, et avec l’institut technique Terres Inovia qu accompagne tout le développement agronomique sur le territoire et pilote également des programmes de recherche. Le rôle de Sofiproteol là-dedans c’est d’agréger la connaissance au sein de cet écosystème particulier. »

Vincent RACHET, Directeur Général d’Exxact Robotics

Frédéric Denhez : « Qu’en est-il Vincent Rachet au sein d’Exxact Robotics ? »

Vincent Rachet : « Chez Exxact Robotics on développe des technologies, des robots, des capteurs afin d’automatiser une partie des tâches pénibles, Il y a une phase d’automatisation je dirais rêvée depuis une dizaine d’année, qui se concrétise depuis cinq, six ans avec, par exemple, des robots qui travaillent dans la vigne, et d’autres pour lutter contre les adventices de manière assez précise.

La façon dont on va travailler avec les savoirs par exemple vernaculaires, c’est qu’on va les challenger. C’est-à-dire qu’on va poser des questions très simples mais qui ne se posaient pas avant car la réponse n’était pas accessible. Cette démarche se fait directement avec les utilisateurs. Un exemple précis : il y a deux-trois semaines nous étions en Bulgarie, on a montré un système qu’on développe et on a demandé à la personne qui conduit le pulvérisateur de choisir la taille des adventices qu’il souhaite traiter et en fait c’est une question qui n’avait jamais été posée, puisqu’avant on ne pouvait pas faire ce choix-là. Et lorsqu’on leur dit le choix existe, finalement ils ne savent pas faire ce choix. Donc on challenge les gens en disant que la technologie est là, mais tout l’enjeu principal c’est d’être capable de dire à quoi ça sert et comment ça fonctionne. Donc la technologie est en avance sur les pratiques.

Véronique BELLON-MAUREL, Directrice de l’Institut Convergences #DigitAg

Frédéric Denhez : « Mme Bellon-Maurel, ça signifie que les paysans doivent revoir leur façon d’exercer leur métier, leur façon de parler de leur métier ? Et d’une façon ou d’une autre se soumettre au fonctionnement de ces nouvelles technologies ? »

Véronique Bellon Maurel : « Les nouvelles technologies ont un impact fort sur le travail et le quotidien des exploitations agricoles. Les robots vont changer la manière dont les gens travaillent, de façon positive ou négative. Ce qu’on fait dans un de nos gros projet qui est un living lab, c’est d’étudier les coûts et bénéfices sociaux, économiques, environnementaux de ces technologies. On voit pour les robots des choses tout à fait contre-intuitives : ils ne sont pas tellement utiles dans les grosses entreprises mais sont beaucoup plus présents et utiles dans les petites exploitations agricoles. Une très grande exploitation pouvant avoir des ouvriers pour réaliser ces tâches. Au contraire, en élevage, le robot de traite est particulièrement répandu car il enlève une astreinte forte aux agriculteurs, aujourd’hui plus de la moitié des nouveaux exploitants laitiers s’installent avec un robot de traite. Donc les technologies, du moins pour certaines, vont changer les manières de faire, d’organiser son temps de travail, etc. et il faut regarder ça. »

© Bastien Crouts de Paille

F. Denhez : « comment passe-t-on de la peur que les technologies prennent notre place à l’adoption de ces technologies ? »

Véronique Bellon-Maurel : « Dans l’Institut de Convergence #DigitAg, des personnes vont regarder comment les technologies sont adoptées par exemple par des agriculteurs conventionnels, des agriculteurs en bio, etc. Pour ces différents groupes, ce ne sont pas les mêmes motivations, mais elles ne sont pas spécialement rejetées par ceux qui font du bio, notamment parce qu’ils en ont besoin pour le désherbage.

Donc déjà il faut comprendre quel numérique pour quelle agriculture. Aujourd’hui on va avoir des pionniers, des early adopters, qui se sont lancés dans l’agriculture de précision. Le problème c’est comment on embarque tous les autres. Là on travaille avec un autre outil qu’est un living lab, OccitaNum, pour Occitanie agroécologie numérique, qui défend l’idée que le numérique et l’agroécologie peuvent être des twin transitions, une transition couplée et synergétique, qui s’aide l’une l’autre. Ce qu’on essaie de faire avec ces collectifs d’agriculteurs de faire émerger un besoin. Qu’est-ce qui aujourd’hui est un verrou dans votre pratique (ex. comment je gère la ressource en eau et le risque de sécheresse). Ensuite on voit s’il existe des solutions technologiques robotiques et numériques qui peuvent leur être utiles. Très souvent, surtout pour le maraîchage, c’est le coût. Donc ce que nous avons mis au point avec nos collègues de l’Institut Convergence #DigitAg c’est un dispositif d’auto-construction de capteurs. On organise des ateliers de construction de capteurs, comme les sondes capacitives PiloTech, une solution simple mais l’agriculteur possède la connaissance de comment est construite cette sonde, il peut ainsi mieux la réparer. Quand on construit soi-même un objet, on se l’approprie et on est capable de faire soi-même la maintenance. En investissant les utilisateurs de la mission de construire leur propre sonde ou technologie, un effet intéressant s’applique, on l’appelle l’effet IKEA, où l’utilisateur accorde plus d’importance s’il a construit lui-même le capteur. On est en train de rentrer avec cette approche auprès des agriculteurs qui n’étaient pas forcément des early adopters. Cela leur donne confiance dans la technologie et l’enjeu fondamental c’est bien démystifier la technologie, de la rendre banale. »

Vincent Rachet

Frédéric Denhez : « Comment rendez-vous la technologie banale, ou du moins appréciable, Mr. Rachet ? Vous faites participer les agriculteurs même pour la forme à leur élaboration ? Vous les présenter auprès des lycées agricoles ? »

Vincent Rachet : « Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. Nous avons identifié quatre niveaux d’acculturation ou de diffusion :

  1. L’acculturation et la formation : pour que le robot puisse être construit, qu’il soit réparable, qu’il y ait une chaîne de maintenance opérationnelle ;
  2. Le réseau de distribution : recueillir l’expérience des utilisateurs et partager leurs retours (le réseau de distribution collecte les expériences des utilisateurs) ;
  3. Le transfert des technologies, pour lequel les instituts techniques sont la clef de voûte de ce transfert avec un rôle de médiation essentiel ;
  4. La démonstration, notamment dans les lycées, les Salons agricoles, etc.

F. Denhez : « Comment réagissent les gens, le monde agricole, quand vous leur présenter un robot ? »

Vincent Rachet : « ça dépend beaucoup du type de robot qu’on va présenter. En général, les gens qui viennent sont curieux. La difficulté, je pense, va venir dans les prochaines années, c’est-à-dire que là on est encore dans une phase de découverte lors de laquelle les gens fantasment beaucoup (« le robot tout électrique », non pas forcément ; « les robots feront beaucoup mieux que l’homme », ce n’est pas sûr ; « les robots seront plus économiques », probablement pas, etc.) et qui permettent d’entraîner les early adopters. Mais quand les fantasmes retombent, l’effet impressionnant disparaît, et si on n’a pas préparé la suite, ça crée un échec et le prochain public ne sera pas aussi simple à convaincre. Les technologies vont apporter plus de temps pour faire autre chose que des tâches pénibles et répétitives, et la question qui se pose c’est qu’est-ce que les agriculteurs vont faire de ce temps ? La question ce n’est pas de savoir si la technologie va remplacer quelqu’un, mais que ça va libérer du temps pour quelqu’un qui va pouvoir faire du travail de plus haute valeur.

Jean-Marc Philip

Jean-Marc Philip : « Récemment, nous avons mené une enquête auprès des agriculteurs auprès de qui on intervient avec la SCP et nous leur avons posé la question : quel est votre consentement à payer pour avoir des capteurs pour le pilotage de l’irrigation ? La réponse est 30€/ha/an, ce qui est très peu. Deux commentaires : le premier c’est qu’on a du mal à embarquer le monde agricole autour de capteurs en lien avec le changement climatique. Donc il y a un travail d’acculturation qui est très important. A partir de ce constat-là, on essaie à la SCP de construire des solutions en optique ou en radar pour avoir des solutions très peu chères par rapport aux capteurs de terrain (comme les capteurs flux de sève, les sondes capacitives, etc.). Mais les coûts restent bien supérieurs à ce que les agriculteurs annoncent être prêts à payer. Il faut donc travailler sur les volumes pour faire baisser les prix, mais aussi s’appuyer sur la télédétection qui est l’une des technologies les moins chères. En France et comme sur tout le pourtour méditerranéen, sur la base d’images de télédétection pouvoir prédire les besoins d’une parcelle, voire à un niveau intra-parcellaire. Ça va être un enjeu très fort. Dans le Sud de la France pour mettre en œuvre le Plan Macron sur l’eau, il va falloir économiser chaque année 300 millions de m^3 d’eau. Donc on n’a pas le choix, il faut continuer à faire des efforts et pour faire des efforts il faut qu’on ait des modèles prédictifs. Ce sont les vérités terrain agronomiques et pédologiques qui vont venir alimenter ces modèles.

Baptiste Fainéant

F. Denhez : « Mr. Fainéant, vous c’est l’empreinte carbone des grains, des graines, sur laquelle vous travaillez ? Comment vous convainquez les agriculteurs qu’un Carrefour, qu’une coopérative, demain leur demandera une sorte de traçabilité ? Prouvez-moi que votre graine, que ce que vous avez produit, n’a pas altéré la ressource en eau, le sol et n’a pas une empreinte carbone trop élevée par exemple. »

Baptiste Fainéant : « Je vais revenir un instant sur ce qui a été dit juste avant, la technologie va effectivement changer le travail, donner plus de temps à l’agriculteur. Il y a une chose qui prend énormément de temps dans une exploitation c’est de remplir des données pour tout un tas de raisons (la PAC, et dans plein de filières il faut remplir des données pour caractériser les productions qu’on va vendre et leur durabilité, etc.). Aujourd’hui c’est l’agriculteur qui doit déclarer comment il a produit ses différentes, cultures, avec quels itinéraires techniques, etc. Ensuite ce sont les industriels, comme Sofiproteol, qui vont prendre ces données et calculer l’empreinte carbone des productions agricoles, par exemple pour la production de biocarburants à partir du colza. Cela va ensuite nous permettre de pouvoir vendre sur les marchés un produit plus cher et donc redistribuer de la valeur auprès des agriculteurs pour financer sa mise en place de pratiques, sa transition agricole, etc. Donc le marché des biocarburants est un marché qui est réglementé, on a de la méthodologie et on sait comment il faut faire, mais on a toujours besoin de cette remontée de la donnée. Typiquement un capteur ça va nous permettre d’éviter d’avoir des données déclaratives, donc d’éviter que les agriculteurs prennent du temps à remplir des questionnaires et à aller chercher les données. Les capteurs permettent aussi de stabiliser la donnée. L’exemple le plus historique, c’est qu’aujourd’hui de plus en plus d’entreprises s’engagent dans le contexte du changement climatique, à évaluer, voire pour les plus grands groupes à réduire, leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui s’inscrit notamment dans la Directive CSRD qui impose de réaliser un bilan carbone sur les scopes 1, 2 et 3 donc depuis les fournisseurs jusqu’aux clients. Mais pour réduire il faut déjà être en capacité de savoir ce qu’on achète, et pour savoir ce qu’on achète, il faut la donnée qui y est associée. On demande donc de plus en plus à nos agriculteurs et à nos fournisseurs de nous fournir des données et les capteurs pourraient automatiser cette collecte.

Concernant le sol, il y a un sujet très vaste sur le stockage du carbone dans le sol. Il y a beaucoup de filières qui viennent valoriser le carbone qu’on peut stocker. Il y a quelques années, il y a eu l’émergence des marchés de crédit carbone en Europe et en France où l’idée c’est que les entreprises qui souhaitaient compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pouvaient financer des projets, par exemple des agriculteurs qui mettaient en place des pratiques qui permettaient de réduire les émissions de GES ou de stocker du carbone dans le sol.

Sur la partie des biocarburants, c’est exactement la même chose. Comme pour le carbone stocké dans le sol, pour valoriser le carbone stocké dans le sol c’était, jusqu’à aujourd’hui, de la modélisation, notamment en fonction des pratiques qui étaient entrées. La réglementation change, il faut faire des mesures, c’est-à-dire qu’on s’oriente vers de la stabilisation de la donnée alors qu’on se situait dans du déclaratif et de la modélisation. Cela implique de faire de l’échantillonnage des sols et de regarder précisément le carbone qui a été stocké entre le T0 et le Tx. Donc, les capteurs pourraient aider à collecter la donnée de façon automatique et de façon régulière. »

Frédéric Denhez : « Comment réagissent vos agriculteurs, vos fournisseurs, quand vous leur dites « Il faudra aller chercher la donnée, il faudra que vous nous prouviez que… » ?« 

Baptiste Fainéant : « Il y a deux discours : le premier discours c’est « la donnée, je ne vous la donne pas gratuitement, je la donne seulement s’il y a un intérêt à le faire ». Dans les filières on paye la matière première plus cher, pour avoir accès à cette donnée et parce que nous sommes en capacité de la valoriser après. Dans ce cas, il n’y a pas trop de sujet pour que la donnée soit transférée sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Il y a également le cas d’agriculteurs qui sont prêts à s’engager dans une transition et donc à fournir des données pour prouver qu’il l’a fait. Mais certains acteurs de la chaîne de valeur demandent toujours plus de données et souvent gratuitement car ils ne se rendent pas toujours compte de ce que ça représente et de ce que ça engendre. Je prends l’exemple des distributeurs : aujourd’hui on manque beaucoup de données de traçabilité pour des raisons réglementaires, ou parce qu’ils ne sont pas prêts à payer plus cher pour acquérir cette donnée. Donc il faut qu’on soit en capacité de rémunérer les agriculteurs pour leurs données pour que le système soit viable, sinon ça n’a pas de sens qu’on le mette en place. »

Véronique Bellon-Maurel

Frédéric Denhez : « Madame Bellon-Maurel, comment vous réagissez à ce qui vient d’être dit, notamment à cela, que les agriculteurs veulent bien mais qu’il faut que ce ne soit pas des données offertes, qu’ils aient un retour ? C’est la réciprocité, c’est très anthropologique : « je donne, je veux un contre-don ». 

Véronique Bellon-Maurel : « Oui, c’est un vaste débat. J’ai entendu la Secrétaire générale de l’Organisation mondiale des agriculteurs qui disait « est-ce qu’on pourrait imaginer une entreprise à qui on demanderait d’ouvrir ses données comme ça à tout le monde ? ».

Vincent Rachet : « On en publie un paquet quand même. »

Véronique Bellon-Maurel : « oui, mais peut-être pas les données de production, car ouvrir les données de qualité d’un sol, c’est derrière la valeur d’une terre, etc. donc ce n’est pas si simple. Donc sur ce sujet de l’ouverture de la donnée, nous à l’INRAe c’est aussi précieux pour nous, car on veut en tirer de la connaissance. Alors déjà l’ouvrir à la recherche, qui est là pour créer de la connaissance et des communs, donc qui s’adresse à tout le monde, je pense que ça ça serait extrêmement important. Pourquoi ? On est dans plein de transitions, agroécologique et climatique, donc on est en train de faire l’expérience d’associations de pratiques sur lesquelles on n’a pas la connaissance. On ne l’a pas. L’INRAe a fait des supers modèles de cultures mais qui sont des modèles pour une culture à la fois. »

Frédéric Denhez : « Vous avez des fermes expérimentales. »

Véronique Bellon-Maurel : « Oui, nous avons des fermes expérimentales. L’agroécologie est une agronomie qui est située. C’est-à-dire, que ce qui va sortir de la Ferme expérimentale de Grignon, ou d’autres, ça ne vaudra pas pour ce qui se passe en Occitanie par exemple. Nous on défend autre chose. On défend le fait que les agriculteurs sont innovants, ils aiment essayer des choses nouvelles, de nouvelles pratiques, de nouvelles variétés. Soit l’agriculteur va faire ses semis et ses expériences dans son coin, et il va regarder à l’œil, ou de manière un peu plus rigoureuse ce qu’il en sort. Soit on essaie de promouvoir les expérimentations à la ferme. On va nous dire que ça existe depuis longtemps, notamment au sein des Instituts techniques qui expérimentent depuis longtemps avec les agriculteurs à la ferme.

Mais il faut comprendre qu’aujourd’hui on veut introduire deux choses nouvelles : la première c’est que ce soit l’agriculteur qui dise qu’il veut essayer ça et que l’envie vienne de l’agriculteur de tester de nouvelles pratiques ; la seconde nouveauté, c’est le numérique, donc qui va aider à collecter de la donnée. Par exemple, l’INRAe et Arvalis ont mis au point un système avec la société Hyphen pour prendre des images du couvert de blé et compter les épis. Jusqu’à présent, ce comptage se faisait à la main. On va également pouvoir avec ces technologies numériques enregistrer des données des nouvelles pratiques, des cultures associées, etc. de manière extrêmement fine. Tout à l’heure on a cité Pl@ntNet, et nos collègues de Pla@ntNet à Montpellier sont capables sur des couverts de cultures associées, d’identifier toutes les plantes, de mesurer leur croissance, etc. Ils sont capables de faire de l’identification sur un mètre carré de la biodiversité des différentes espèces. Ils sont en train de travailler là-dessus en ce moment. C’est vrai que l’intelligence artificielle dans l’analyse d’images a amené des réponses sur des sujets sur lesquels on a travaillé plus de trente ans avec des méthodes très mécanistes. L’intelligence artificielle ça révolutionne tout ça.

Donc la donnée qu’est-ce qu’on en fait ? Déjà l’ouvrir à la recherche. Au lieu des unités expérimentales dont il doit y en avoir dans tout l’écosystème environ 200 sur toute la France, le numérique pourra nous aider à capter et à évaluer les performances.

Autre chose qu’on défend, la première conférence que nous avons organisée sur le sujet a eu lieu en 2021 à Montpellier et la seconde, organisée l’année dernière, a eu lieu en Afrique, car c’est un sujet qui intéresse les Africains. Ça intéresse les organisations internationales car le changement climatique est partout. Donc la création de connaissances, il faut qu’elle se fasse avec tous les moyens. C’est une sorte de science participative, mais il faut que le collecte de données soit légère pour le citoyen, pour l’agriculteur que ça ne rajoute pas de travail ou qu’il y ait derrière un vrai bénéfice partagé, c’est là que le numérique a toute sa place. »

Vincent Rachet

Vincent Rachet : « Il y a quelque chose que nous abordons depuis ce matin, c’est le coût des capteurs. Donc on essaie de proposer que les gens développent leurs solutions. Alors pour le côté acculturation, je trouve ça génial. Imaginer que faire soi-même quelque chose coûte moins cher que de le faire faire par des personnes dont ce n’est pas le métier, je ne suis pas sûr que ce soit toujours vrai.

Il y a une question que je me pose : je crois qu’on mélange combien coûte la donnée et qui la finance, je mets de côté à qui elle appartient. Aujourd’hui les agriculteurs utilisent très couramment beaucoup de données qui viennent d’un satellite pour savoir où ils sont (systèmes GPS RTK et autres). Comment la paient-ils ? ça leur paraît normal de la payer. C’est une donnée qui arrive, comment elle a été financée ? Ce ne sont pas les agriculteurs qui ont lancé une constellation de satellites et pourtant ça existe. Et si on devait se poser la question de combien ça coûte les données, je dis au sein d’Exxact Robotics, donc à un micro-niveau, attention choisissons des technologies que le système va pouvoir s’offrir. Je ne dis pas que l’agriculteur va pouvoir s’offrir, mais que le système va pouvoir s’offrir.

Et je finirais là-dessus, il y a énormément de technologies qui arrivent actuellement dont le coût principal c’est le coût initial. Et il y a une sorte de phantasme et de confusion sur le coût de la donnée et qui la finance. »

Frédéric Denhez : « Ce sont des questions qui se posaient déjà à peu près de la même façon il y a quinze ou vingt ans, quand les associations de protection de la nature ont commencé à travailler avec le monde de la recherche dans le cadre des sciences participatives. Il y avait les mêmes questions : « nous c’est du temps bénévole, qui n’est pas rémunéré, vous les chercheurs êtes fonctionnaires, et les données qu’est-ce qu’on en fait, qui les finance », etc. Le problème a fini par être réglé notamment par le fait que l’Etat qui a imposé que les données soient rendues publiques pour les besoins de la recherche entre autres. »

Vincent Rachet : « « Oui l’Etat peut nationaliser les données, ce qui résout le problème de leur financement, mais pas de leur coût. »


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