Avec Vincent Attard, Jean-Christophe Bereau, Nathanaël Kasriel et Emmanuel Leveugle, animée par Frédéric Denhez
Jean-Christophe Bereau (Responsable DAS Communication Sécurité pôle de compétitivité ALPHA RLH)
A ce jour, le Pôle de compétitivité ALPHA-RLH compte 280 adhérents et est situé dans les locaux de la Société d’optique à Bordeaux, qui constituent ainsi un fort écosystème dans les technologies optique et photoniques (« le photon est à la photonique ce que l’électron est à l’électronique »).
Est-ce qu’ALPHA-RLH a des ressources humaines dédiées au secteur agricole, ou le secteur agricole est-il simplement un terrain d’application pour des innovations qui se font partout ailleurs ?
« Aujourd’hui, on cherche plutôt à diffuser des technologies duales, créées pour le secteur militaire ou l’aérospatiale, vers le civil. L’agriculture et l’agroalimentaire sont donc des secteurs transverses. »
Quelles sont les technologies aujourd’hui bien diffusées dans le monde agricole et à quoi faut-il s’attendre demain ?
« On va avoir trois champs d’application différents :
- Le champ
- Le silo
- Le labo
Deux technologies ressortent fortement, toutes deux ayant trait à l’imagerie : il s’agit des caméras multispectrales et hyperspectrales ainsi que la spectroscopie optique.
La spectroscopie permet de décomposer la lumière et donc de mesurer un phénomène physique—une fréquence ou une longueur d’onde. Cela permet d’avoir des réponses sur le niveau de maturité des cultures, sur des problématiques d’irradiation des sols, mais aussi sur le fait de savoir quand traiter au bon moment.
Aujourd’hui sur le plan hardware on est assez au point. L’enjeu désormais c’est l’embarcabilité de ces technologies qui sont très lourdes, fragiles et coûteuses. Il faut donc travailler pour adapter ces technologies aux secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire qui sont particuliers. »
Aujourd’hui sur le plan hardware on est assez au point.
Jean-Christophe Bereau, (Responsable DAS Communication Sécurité pôle de compétitivité ALPHA RLH)
L’enjeu, désormais, c’est l’embarcabilité de ces technologies qui sont très lourdes, fragiles et coûteuses.
Est-ce que les personnes qui développent ces technologies discutent avec les agriculteurs et le monde agricole ?
« Oui tout à fait. La difficulté en agriculture, si on prend le modèle du sud-ouest de la France, c’est qu’il y a d’un côté l’agriculture de masse et de l’autre l’agriculture avec des valeurs ajoutées différentes, comme les spiritueux qui n’ont pas les mêmes marges ni les mêmes coûts que le vin qui leur permettent d’investir dans ces technologies onéreuses. »
Vincent Attard (Directeur commercial de Chouette)
Qu’est-ce que la « Viticulture de précision », est-ce qu’il s’agit repérer le mildiou avant qu’il ne dévaste tout, la flavescence dorée ? Est-ce que c’est traiter à la micromolécule près ?
« C’est d’abord identifier les symptômes. Aujourd’hui la charge de l’identification repose uniquement sur l’humain et la mission de Chouette c’est de supporter le viticulteur dans cette recherche-là par l’installation de capteurs sur les tracteurs ou sur des enjambeurs en fonction des situations. L’objectif est de pouvoir détecter de manière globale, exhaustive sur toute la parcelle les symptômes de maladies et d’intervenir ensuite de manière proactive pour protéger le végétal et éviter la propagation de la maladie autour des zones infestées.
Arpenter un hectare de vigne, par exemple dans le Bordelais, c’est à peu près une heure, une heure-et-demi, de marche et généralement les exploitations font 10-20 hectares, ce qui représente donc beaucoup de temps pour un viticulteur. De plus, il est difficile de garder un niveau de concentration élevé aussi longtemps, contrairement aux capteurs qui ont un taux de concentration linéaire. C’est donc rassurant pour les viticulteurs de bénéficier de ces outils de détection et de traitement rapides et performants.
Chouette équipe tout type de machines qui vont passer dans le vignoble—robotique, tracteur interligne, enjambeur, machine à vendanger (notamment pour la flavescence dorée qui apparaît au moment de la récolte).
Chouette a fait le choix de technologies optiques dans la logique de ce qu’a présenté Jean-Christophe Bereau : aujourd’hui la technologie hyperspectrale apporte de nouvelles informations, mais il y a une contrainte de prix et de fragilité.
Le choix d’une technologie optique procède aussi du confort et donc du potentiel d’adoption de cette technique pour les viticulteurs qui sont désireux de pouvoir voir les tâches identifiées, avoir accès aux images prises par les capteurs.
De plus, le choix a été fait d’automatiser complètement ce système de détection, le viticulteur n’a pas besoin d’activer de bouton on/off pour faire de la captation de données.
Enfin, l’interprétation des données se fait de manière naturelle avec un système de couleurs en fonction du niveau de pression des bioagresseurs qui s’affiche sur une carte où sont signalées par des points les zones où ont été identifiées les maladies.
Cette preuve par l’image permet l’adaptation et l’adoption facile de ce type de technologie. La formation est également très courte pour utiliser cet outil.
Le choix d’une technologie optique procède aussi du confort et donc du potentiel d’adoption de cette technique pour les viticulteurs qui sont désireux de pouvoir voir les tâches identifiées, avoir accès aux images prises par les capteurs.
Vincent Attard (Directeur commercial de Chouette)
Dès le lancement du projet en 2015, des clients historiques ont été associés à l’élaboration de la technologie. Cette collaboration a permis de collecter leurs données au cours des neuf dernières années, de définir avec eux la recherche à mener, ou encore de recueillir leurs attentes en matière d’opérabilité. Ce qu’il faut en effet c’est répondre à un besoin concret, donc de créer ces outils avec les utilisateurs finaux.
Jean-Christophe Bereau, est-ce que vous aussi vous recueillez les besoins des agriculteurs, vous les rencontrez, vous les connaissez ?
Jean-Christophe Bereau
« Pas directement. Toutefois, notre rôle consiste aussi à labelliser les projets auprès de la BPI notamment pour des demandes de financement, donc dans ce cadre-là nous rencontrons des personnes du monde agricole pour les conseiller, mais rarement les agriculteurs directement. Nous travaillons également avec des clusters comme ceux de la vigne et du vin, ce qui nous permet de recueillir la vision des filières.
Emmanuel Leveugle, Agriculteur Bio Mixte VP Campagnes Vivantes et 3 APV
Installé depuis 1992 à Flesquières (59). Exploitation agricole de 72 hectares en grandes cultures (betterave, blé, colza et, depuis le lancement du Plan Protéines, pois d’hiver et lentille), dont une partie est dédiée depuis 2000 à l’agriculture biologique. Terres laissées en jachère, labour tous les cinq ans. Emmanuel Leveugle est également le Référent Plan Bio de la Chambre d’Agriculture Nord-Pas-de-Calais.
Emmanuel Leveugle se situe sur la partie innovation en matière de pratiques culturales et ces innovations ont impliqué d’avoir recours à du GPS Centipède RTK. Cela lui au permis d’avoir une spécificité de semence, à 15 cm entre les rangs. Il a également créé un semoir permettant de semer plusieurs graines d’espèces différentes sur les rangs et entre les rangs.
Concernant les capteurs, il a travaillé sur le projet AtFarm : plateforme qui permet de récolter des informations par satellite pour déterminer l’azote absorbé sur les parcelles et adapter les stratégies de fertilisation en modulant les doses nécessaires avec le GPS. L’utilisation de l’outil est assez simple pour être adapté aux agriculteurs.
Pour certaines adventices comme les ronds de chardon, ou chardons des champs, il est possible de les identifier par drone, ce que font déjà certains agriculteurs dans le Cambrésis, et utile d’utiliser ensuite un tracteur équipé de pulvérisateurs modulables pour ne traiter que les zones infectées.
En revanche, lorsqu’il s’agit de nappes de petites mauvaises herbes comme des nappes de vulpin, la technologie n’existe pas encore pour pouvoir traiter sur le rang.
« En tant qu’agriculteur, on est obligé d’avoir un panel d’outils et de matériels très large parce que les conditions climatiques changent, ce qui implique de s’associer beaucoup plus. »
Vincent Attard
« Concernant le coût du matériel, c’est une contrainte majeure en effet.
Chez Chouette, nous nous sommes concentrés sur la valeur ajouté que le matériel peut apporter.
En reprenant l’exemple de la modulation, on espère avoir une diminution que ce soit en matière d’épandages de fertilisants ou de pulvérisation de produits phytosanitaires. C’est plutôt là-dessus qu’il faut travailler pour avoir un retour sur un investissement (ROI) qui soit positif en permanence, autrement dit que l’investissement soit pérenne et qu’il soit rentable dès le début.
Le coût d’acquisition restera toujours globalement élevé, c’est donc sur le ROI qu’il faut travailler pour apporter plus de solutions et de potentiels gains de temps, de gains de produits économisés pour les agriculteurs, afin que le ratio soit positif en permanence. »
Comment fonctionne le modèle économique de Chouette ?
« Il y a la partie hardware, où il y a un coût d’acquisition avec un transfert de propriété du côté de l’agriculteur et il y a un coût pour la partie software avec un abonnement à l’hectare, en l’occurrence pour une exploitation de 10 hectare, le coût est en général de 120€/hectare/an. »
Nathanaël Kasriel (Directeur adjoint de Sun’Agri)
Sun’Agri vend une solution pour lutter contre le réchauffement climatique via l’installation de panneaux photovoltaïques. Ces panneaux sont placés à 4,5-5 mètres au-dessus des cultures, essentiellement aujourd’hui sur de la vigne, de l’arboriculture et du maraîchage. Ils sont mobiles, mais ils visent en priorité à optimiser la production agricole en s’adaptant aux besoins d’ombre et de photosynthèse des plantes (ex : s’il fait 40°C au mois d’août, les panneaux sont fermés et à l’inverse, lorsque les besoins en photosynthèses sont très importants au printemps au moment de la floraison, alors les panneaux vont laisser passer la lumière du soleil). Autrement dit, Sun’Agri commercialise de l’optimisation de météo.
Est-ce que cette solution est pertinente partout en France, par exemple dans le Cambrésis ?
Emmanuel Leveugle
Tout à fait, la production de vignes et de fruits se développe dans le Nord et aux vues des deux étés passés la sécheresse et la canicule touchent désormais tout le territoire national. L’enjeu néanmoins pour les agriculteurs avant tout c’est l’accès à la terre, et il faut que priorité soit donnée à la production agricole et après à la production d’énergie. La réglementation évolue actuellement sur ces sujets.
Nathanaël Kasriel
Il s’agit en effet du décret du 9 avril, qui fixe un taux de couverture maximal de 40% par parcelle avec une obligation de ne pas perdre plus de 10% de rendement.
Pour répondre à la question de la pertinence d’installer ces panneaux photovoltaïques à Cambrais, il ne serait pas judicieux de le faire, puisque ça va dégrader mécaniquement la production agricole. L’objectif de Sun’Agri c’est bien de mettre le photovoltaïque au service de la production agricole, donc de ne pas atteindre 10% de pertes de rendement, mais bien de maintenir, voir d’augmenter le rendement grâce à la structure de protection que sont les panneaux photovoltaïques. On peut le voir comme une protection pour sécuriser le rendement agricole.
Du point de vue du modèle économique, la production d’électricité va permettre de financer l’installation de la structure, à la différence des autres systèmes de protection des cultures comme les filets d’ombrage qui ne rapportent en rien.
Est-ce que vous arrivez à mesurer cette perte de rendement ?
Comment est-ce que vous modélisez les besoins photosynthétiques des plantes ? Est-ce que vous vous appuyez sur des capteurs ?
Il s’agit de modélisation donc d’aller récupérer de l’information sur la parcelle (statut hydrique, données météorologiques de température et pluviométrie, modèles de croissance de la plante) qui va permettre d’alimenter les modèles et de prendre la meilleure décision, sur la base des retours d’expérience, pour déterminer s’il faut de la lumière ou de l’ombre. La récupération des données sert à améliorer nos modèles en continue avec un rêve un peu plus éloigné que les modèles puissent s’entretenir de façon autonome et qu’ils agissent directement en temps réel sur les installations.
Aujourd’hui, si on regarde d’un point de vue économique, il est plus rentable de raser toute la production agricole et de mettre des panneaux photovoltaïques dessus. Mais la production agricole est nécessaire. Donc la solution que propose Sun’Agri après plus de 15 ans de recherche avec l’INRAe c’est de combiner la production agricole et la production d’énergie et de mettre l’énergie, qui est plus rentable, au service de l’agriculture.