Mieux former les ingénieurs agronomes pour faire du numérique
un levier de la transition agroécologique
En conclusion du colloque de l’Alliance H@rvest, une table ronde sur la formation des ingénieurs agronomes a rassemblé des représentants des directions d’écoles partenaires, du programme PEPR Agroécologie et numérique ainsi que du ministère en charge de l’Agriculture.
La loi d’avenir agricole, initialement prévue au vote en 2024 est remise à l’agenda parlementaire. Parmi les objectifs visés : augmenter le nombre de personnes formées aux métiers de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de vétérinaires et d’ingénieurs agronomes pour accompagner et accélérer la transition agroécologique.
Comment former aux outils numériques qui façonnent l’agriculture ? Les modèles sous-jacents, recourant de plus en plus à l’intelligence artificielle, contribuent-ils réellement à la mise en œuvre de pratiques et de systèmes plus agroécologiques ? Comment les dernières connaissances issues de la recherche alimentent l’enseignement en continu ? Quels dispositifs pédagogiques pour des élèves ingénieurs, souvent critiques sur les bienfaits des technologies, parfois « bifurqueurs », toujours en quête de sens ? Quels leviers publics pour soutenir le développement des compétences d’avenir et des métiers concourant à la souveraineté alimentaire nationale ?
Autant de questions auxquelles ont répondu :
- Laurent Buisson, directeur d’AgroParisTech
- Jacques Sainte-Marie, directeur scientifique adjoint INRIA, copilote du PEPR Agroécologie et numérique.
- Gérard Memmi, head of networks and computer science department, Télécom Paris
- Philippe Vissac, coordinateur volet agricole de France 2030, CGAAER, Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

Parmi les principaux messages clés partagés
Quelles motivations à l’origine de l’Alliance H@rvest pour AgroParisTech et Télécom Paris ?
- Télécom Paris, historiquement focalisée sur les télécommunications, le traitement du signal et les bases de données, s’ouvre à d’autres secteurs comme l’énergie, la mobilité, la santé et l’agriculture. Cette ouverture vise à répondre aux attentes et aux préoccupations sociétales et environnementales des étudiants.
- AgroParisTech peut s’appuyer sur les compétences développées par Télécom Paris pour concevoir des outils numériques soutenant la transformation de l’agriculture.
- Les aspirations personnelles des élèves en quête d’impact, enrichies par le croisement de visions résultant de cette alliance entre AgroParisTech et Télécom, les orientent de plus en plus vers la résolution des problèmes écologiques.
Quelles contributions du numérique et de l’IA à l’agroécologie ?
- Le numérique et l’IA contribuent au déploiement de l’agriculture de précision (la bonne dose, au bon endroit, au bon moment) et de leviers agronomiques d’intérêt tels que le désherbage mécanique.
- Les outils numériques aident à identifier des signaux faibles, en renforçant l’observation à la base de la protection biologique intégrée, en favorisant l’emploi de solutions de biocontrôle par exemple.
- Le numérique et l’IA doivent toutefois aider à transformer les systèmes agricoles, allant au-delà de l’optimisation pour des ruptures nécessaires à la transition agroécologique (cf. passer de 10T à 2 tonnes d’eqCO2 par habitant/an impose des ruptures).
- L’IA amène à revoir la répartition du travail entre l’homme et la machine et transforme les chaînes de valeur
Comment répondre aux critiques de la part d’agriculteurs qui sont en attente de la démonstration de la valeur des outils numériques ou des élèves ingénieurs qui s’interrogent sur leurs finalités ?
- Arriver à créer les conditions pour ne pas opposer innovation, développement économique et préservation de l’environnement
- Entendre et traiter les controverses : les questions d’investissements, de surendettement, maîtrise des données et de la propriété intellectuelle, de perte d’autonomie et de souveraineté sont des préoccupations majeures et légitimes.
- Ne pas écarter les approches Low-Tech : elles sont aussi importantes que les high-techs pour une transition agroécologique réussie.
- Ne pas perdre de vue l’enjeu de positionner le numérique et ses outils au service de l’agronomie, et repositionner les agriculteurs dans le processus de recherche-innovation.
Quelles modalités de formation, quels dispositifs pédagogiques ?
- On observe que bcp d’étudiants se construisent des parcours éloignés de la production, des techniques agronomiques ou bien d’élevage (effets réforme du BAC). On observe encore trop peu de jeunes femmes dans les disciplines mathématiques et informatiques (stéréotypes de genre).
- Il est plus difficile de réduire le vivant et l’environnement par le numérique que d’autres secteurs des sciences de l’ingénieur. Il est essentiel de renforcer chez les élèves ingénieurs l’apprentissage par l’expérience et le geste pour garder la capacité de discernement face à la machine.
- S’il devient indispensable d’apprendre à utiliser l’IA, il faut aussi en comprendre les limites, se doter d’une vision critique, disposer des clés de compréhension et des briques de bases pour comprendre les phénomènes, au-delà d’apprendre à prompter. Le risque sinon est de se retrouver face à une génération dans l’incapacité de penser par elle-même qui délègue tout à l’IA.
- Les parcours de formation sont à réfléchir en fonction des profils nécessaires : on a besoin de gens hyper compétents pour construire les modèles d’IA comme de gens hyper compétents pour un usage expert de ces modèles appliqués à l’agriculture.
- Une réforme des cursus est en cours côté AgroParisTech : il s’agira de remettre plus de terrain dans le parcours de formation (place du stage par exemple) et faire diffuser les enjeux de transitions agroécologique, alimentaire, énergétique et numérique dans les enseignements. On se dirige vers un renforcement de la pluridisciplinarité pourquoi pas en jouant sur le principe de fils directeurs complémentaires compétences x objets x transitions : exemple statistiques x bovin x transition énergétique ou statistique x exploitation x transition agroécologique
- Les nouvelles maquettes sont en cours de conception pour mise en œuvre à partir de la rentrée 2026
Parmi les perspectives :
- S’attaquer à une verticale comme l’agriculture, reste un travail de longue haleine pour arriver à bien se comprendre entre chercheurs et sortir de la logique par disciplines et le fonctionnement en silos. D’où l’intérêt de projets communs, croisant les chercheurs de Télécom Paris et AgroParisTech, comme celui relatifs à l’application de jumeaux numériques à l’agriculture en cours de développement.
- Un double diplôme entre Télécom Paris et AgroParisTech est en préparation (2 ans à l’AgroParisTech puis 2 ans à Télécom ou bien l’inverse, pour acquérir une double compétence).
- AgroParisTech porte le projet AgriTransition 2030 avec Télécom Paris, UniLassalle, et des lycées agricoles en réponse à l’appel à manifestation d’intérêt Compétences et Métiers d’Avenir lancé dans le cadre de France 2030.
- En parallèle, le projet Avenir Agro, lauréat de l’AMI Compétences et Métiers d’Avenir France 2030 et porté par AgroParisTech, les membres de l’Alliance Agreenium et les écoles agronomiques privées sous contrat membres de la FESIC, vise à accroître l’attractivité des formations et des métiers auprès des futurs candidats aux études d’ingénieur agronomes.
- Une des missions du PEPR est de former une communauté scientifique à l’interface numérique et agroécologie : en cela il contribue à former les formateurs pour accompagner le développement des nouvelles compétences et des métiers servant la transition agroécologique