Synthèse du colloque sur les capteurs en agriculture – 30/05/2024

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Le premier colloque annuel de l’Alliance H@rvest qui s’est tenu le 30 mai 2024 à AgroParisTech à Palaiseau, a réuni un public varié composé d’experts, d’enseignants-chercheurs, d’entreprises et d’étudiants, ainsi qu’une vingtaine d’intervenants autour des enjeux d’acquisition des données en agriculture. Cet événement, animé par Frédéric Denhez, a mis en lumière les technologies de capteurs et leur impact sur l’agriculture de demain.

Ouverture

Le colloque a été ouvert par l’allocution de Laurent Buisson, Directeur d’AgroParisTech, qui a souligné l’importance croissante du numérique dans le secteur agricole. Sophie Martin, Directrice de l’Alliance H@rvest, a présenté les objectifs de l’Alliance, qui consistent à évaluer les technologies numériques pour améliorer les pratiques agricoles et la gestion des exploitations. Les capteurs portent en eux le potentiel de révolutionner la gestion des ressources et d’accroître les performances des pratiques agricoles, en fournissant des données précises et en temps réel.

En s’appuyant sur le livre Un monde immense d’Ed Yong, Antoine Cornuéjols, Directeur scientifique de l’Alliance H@rvest, a rappelé l’immense variété de capteurs naturels qui permettent à chaque être vivant de percevoir et d’agir sur son monde, son Umwelt. Chacun de ces capteurs répond à une fonction pour l’organisme qui les détient. Comprendre les capteurs utilisés dans le monde du vivant, s’en inspirer pour élargir notre Umwelt, c’est ouvrir une nouvelle perspective pour mieux préserver les écosystèmes et produire de manière plus durable.

Exposé « Les enjeux des capteurs pour l’agriculture »

En écho aux mots introductifs d’Antoine, Christian Huyghe, Directeur scientifique Agriculture à l’INRAe, a rappelé que les capteurs doivent être déployés pour répondre à une fonction. Cela implique de déterminer précisément le type d’agriculture que nous souhaitons dans le futur. Les capteurs peuvent tout à la fois participer au maintien du modèle actuel, en permettant de faire plus précisément ce qui se faisait déjà, et transformer radicalement nos pratiques. C’est vers ces innovations de rupture, qui permettent de répondre à de nouveaux paradigmes, qu’il faut poursuivre les travaux de recherche et d’innovations, comme l’illustrent la prophylaxie ou les clôtures virtuelles et les colliers connectés pour les vaches.

La rupture fondamentale c’est de développer des capteurs engendrés par le besoin de répondre à une fonction particulière

Christian Huyghe, Directeur scientifique Agriculture à l’INRAe

Table ronde « Les capteurs d’aujourd’hui et de demain : quelles avancées pour l’agriculture ? « 

Lors de la table ronde « Les capteurs d’aujourd’hui et de demain : quelles avancées pour l’agriculture ? », Jean-Christophe Bereau, du Pôle de compétitivité ALPHA-RLH, Vincent Attard, Directeur commercial de Chouette, Nathanaël Kasriel, Directeur adjoint de Sun’Agri, et Emmanuel Leveugle, agriculteur mixte bio, ont discuté des défis et des innovations dans le domaine agricole. Jean-Christophe Bereau a souligné que, sur le plan matériel, les technologies sont prêtes, mais le défi réside dans leur embarcabilité pour une large diffusion. Il a insisté sur l’importance de collaborer étroitement avec les agriculteurs pour répondre à leurs besoins concrets. Vincent Attard a présenté la viticulture de précision, où les capteurs permettent une couverture proactive contre les maladies. Sa société a accumulé des données depuis neuf ans grâce à l’IA, avec un retour sur investissement positif.

Emmanuel Leveugle a partagé son expérience pratique sur l’intégration de capteurs dans son exploitation. Avec 72 hectares de grandes cultures, il utilise la plateforme AtFarm pour collecter des données par satellite, et a discuté du coût élevé du matériel agricole.

Nathanaël Kasriel a présenté les panneaux solaires mobiles de Sun’Agri optimisant la photosynthèse, soulignant l’importance de produire des énergies renouvelables au service de l’agriculture. L’agrivoltaïsme peut non seulement augmenter les revenus des agriculteurs mais aussi améliorer la résilience des cultures face aux conditions climatiques extrêmes.

En conclusion, Jean-Christophe Bereau a rappelé que l’efficacité des dispositifs et leur application pratique sont des enjeux essentiels pour l’avenir de l’agriculture.

Joutes verbales avec les étudiants

Des étudiants ont ensuite échangé avec des experts de leurs projets respectifs. Pour commencer, Mamadou Diarra de la SCP et Mohammed El Aziz Hafsia, étudiant à Unilasalle, Mohamed ont débattu de l’efficacité des pratiques traditionnelles, consistant à faire des enquêtes de terrain, et des innovations numériques, comme la télédétection, pour collecter les données. Mohamed a présenté son stage qui consiste à réaliser des enquêtes auprès d’agriculteurs sur la résistance des graminées aux herbicides dans les céréales d’hiver. Il a expliqué qu’il a fait face à une certaine lassitude des agriculteurs à répondre à des enquêtes. Mamadou, a présenté la SCP et l’usage de la télédétection satellite pour mesurer les parcelles irriguées et le besoin en eau des cultures. Il a expliqué comment la SCP utilise des capteurs et des compteurs d’eau pour collecter des données sur la consommation d’eau. Ils ont pu échanger sur les différences entre les études qualitatives et celles orientées par les données des capteurs, ainsi que des limites de chaque méthode.

Dans un deuxième temps, Anna Ramfel, étudiante à Télécom Paris, a présenté ses expériences sur les capteurs et outils embarqués, notamment dans le cadre du projet Smart Campus à Taiwan. Le but du projet était de suivre l’évolution du climat et l’impact de mesures telles que l’ajout de végétation pour réduire les îlots de chaleur en ville. Jérôme Dantan, enseignant-chercheur à UniLaSalle, a présenté ses projets d’agriculture urbaine, par le biais de serres de phénotypage et de chambres de culture en hydroponie. Ils ont pu échanger à propos de l’importance d’ une adéquation entre la question à laquelle on cherche une réponse et les moyens capteurs à mettre en face, ainsi que de l’éthique du capteur. Ils soulignent l’importance de bien dimensionner les capteurs à la réponse souhaitée et de ne pas ajouter une nouvelle forme de dépendance pour les agriculteurs.

Enfin, Paul Michel, étudiant à AgroParisTech et HEC et co-fondateur de BeeLinked, a présenté la solution qu’il a développée, une combinaison de capteurs afin de détecter les dysfonctionnements éventuels dans la ruche. L’idée lui est venue après une mortalité inexpliquée dans une ruche familiale et qu’il a développé ce projet dans le cadre d’un concours d’innovation. Il parle de l’utilité de cet outil pour analyser le stress subi par la ruche, prévenir un essaimage et suivre la reprise de la ponte et la taille de l’essaim. Le modèle économique de son entreprise consiste à proposer une offre de service plutôt qu’une vente de matériel.

Table ronde  » Données issues de capteurs versus connaissances traditionnelles ? »

Lors de la table ronde qui a suivi, Véronique Bellon-Maurel, Directrice de l’Institut Convergences #DigitAg, Baptiste Fainéant de Sofiprotéol, Vincent Rachet d’Exxact Robotics et Jean-Marc Philip de la SCP ont souligné l’importance des connaissances traditionnelles et des savoirs métiers. La SCP, par exemple, s’appuie sur des capteurs pour surveiller les niveaux d’eau et ajuster l’irrigation en temps réel, mais a besoin de pédologues pour aménager le territoire et connaître le potentiel des sols.

Véronique Bellon-Maurel a discuté de l’intégration des robots dans les tâches agricoles et de l’importance de former les agriculteurs à ces nouvelles technologies. Elle a souligné que les robots équipés de capteurs peuvent accomplir des tâches répétitives avec une grande précision, libérant ainsi les agriculteurs pour des tâches plus complexes.

Les transformations technologiques doivent être décidées par ceux qui les vivent. Pour faire émerger les besoins de terrain, l’OccitANum vise à rassembler les agriculteurs et les ingénieurs pour qu’émergent les réponses aux demandes spécifiques des filières.

Véronique Bellon-Maurel, Directrice de l’Institut Convergences #DigitAg

Baptiste Fainéant a présenté la filière des oléoprotéagineux. Pour répondre aux futures contraintes réglementaires de réduction des consommations en eau et produits phytosanitaires, ainsi que le déploiement des crédits carbone, des données plus précises, par exemple de teneurs en carbone dans le sol, sont nécessaires et impliqueront un besoin d’équipement.

Enfin, Vincent Rachet, a abordé la question du modèle économique de la donnée, en rappelant qu’il fallait distinguer le coût de la donnée et son financement.

Table ronde « Exploiter le potentiel des données agricoles : opportunités et défis »

Dominique Tristant, Directeur de la Ferme expérimentale de Grignon, Jean-Marc Gilliot, enseignant-chercheur à AgroParisTech, Achille Thin, Data scientist à Genesis, et Jérôme Dantan ont échangé lors de la dernière table ronde de la journée sur l’évolution des capteurs et de leur utilisation dans l’agriculture, ainsi que des défis à venir tels que la réduction de la pénibilité du travail et le remplacement de la main-d’œuvre non qualifiée par de la robotique.

Dominique Tristant a expliqué que la ferme d’AgroParisTech effectue des tests en champs afin d’améliorer les capteurs en étroite collaboration avec les fournisseurs de technologie. Achille Thin a présenté la manière d’évaluer la santé des sols au sein de Genesis, en prenant en compte des indicateurs tels que le carbone, l’eau, la biodiversité et en établissant un lien avec les pratiques agricoles en place. Enfin, la table ronde a été l’occasion de discuter de la question des normes et de l’importance d’avoir un langage commun.

Conclusion

La conclusion du colloque a été assurée par Sophie Martin et Olivier Guize, Président de la Fondation AgroParisTech. Ils ont remercié les participants et ont rappelé quelques points marquants de la journée :

  • les offres de capteurs et d’outils numériques nombreuses basées sur les nouvelles sources de données 
  • la demande des agriculteurs pour des solutions innovantes dont ils participent parfois à l’invention, pour assurer la viabilité de leur exploitation dans le contexte de la transition agroécologique et du changement climatique ;
  • surtout la mise en valeur de clés pour une rencontre fructueuse entre cette offre et cette demande : écoute (co-construction), confiance (certification), tempérance (frugalité) et robustesse (maintenance, réparabilité).

Ce premier colloque est le premier d’une longue série de colloques annuels dont la chaîne de traitement de la donnée constitue le fil conducteur. Nous vous donnons donc rendez-vous en 2025 pour rencontrer des experts et échanger sur le traitement et l’analyse des données, avec un focus sur la modélisation et l’IA au service du monde agricole.


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